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Garbure : un plat ancestral du Sud-Ouest pyrénéen

La garbure, cette potée ou soupe épaisse à base de légumes et d’os de jambon typique de la cuisine gasconne et pyrénéenne, constituait la « soupe de tous les jours », le plat quotidien, souvent unique, consistant et roboratif, représentant l’alimentation de base des paysans du Sud-Ouest de la France, au moins depuis le milieu du 18ème siècle, sans doute plus tôt, et dont le principal objectif visait essentiellement à nourrir les hommes et les femmes qui travaillaient aux champs.

Il s’agissait avant tout d’un plat, complet et bon marché, ancestral et multiforme, dont chaque département, chaque région historique et culturelle, voire chaque foyer du Sud-Ouest possède sa version propre. A tel point qu’il paraît impossible de parler d’une recette traditionnelle, encore moins originelle de la garbure, tant les recettes diffèrent en fonction des saisons, des époques, des régions et des maisons.

 

Etymologie d’une recette :

  * Une étymologie incertaine face à de nombreuses prétentions d’appropriation : certains la prétendent d’origine wisigothique en l’associant à la bard würt germanique, tandis que d’autres lui revendiquent une filiation espagnole (de garbias qui signifie « ragoût » et désigne, plus précisément, un ragoût de bourrache, porc et fromage), d’autres encore la voudraient occitane (garbura) ou gasconne (garbe), voire béarnaise et même landaise ou ariégeoise,

   * Si on l’appelle aussi bigourne dans le Périgord, c’est sous le nom de garbure, après diverses variations telles que galbeure, galbure, qu’elle fait son entrée dans le patrimoine littéraire français, bien qu’alors orthographiée d’une façon toute parisienne qui ne restera pas dans les annales, « carbure », sous la plume de Molière, dans un vers de la pièce de théâtre « Le médecin volant » de 1659 : « Je croyais refaire mon ventre d’une bonne carbure, et m’en voilà sevré ».

 

Histoire d’un plat :

   * Sa création est tributaire de l’apparition et de la diffusion, au cours du haut Moyen Âge, de deux éléments nécessaires à sa préparation : le potager domestique, d’une part, la marmite en terre spéciale, d’autre part. La garbure a été le principal, voire l’unique plat quotidien du paysan du Sud-Ouest depuis plus de deux siècles.

   * La recette de la garbure est officiellement intronisée au sein du patrimoine gastronomique français autour de la Révolution française de 1789 et acquiert progressivement ses lettres de noblesse. C’est bien sous le nom de garbure que cette recette sera retenue dans le « Dictionnaire portatif de cuisine » de 1767.

   * La garbure est en effet passée, en l’espace de deux siècles, de plat typique, peu coûteux et nourrissant, du paysan pauvre du Sud-Ouest à l’un des plats préférés des Français aujourd’hui que l’on retrouve à la carte de tous les restaurants gastronomiques servant de la cuisine traditionnelle du Sud-Ouest.

Typologie culinaire régionale :

   * A ce titre, en tant que patrimoine culinaire régional bénéficiant d’un rayonnement touristique national et international, la recette de la garbure constitue un enjeu important pour plusieurs types d’acteurs et de territoires qui cherchent tous à s’approprier la paternité de l’origine de la recette de la garbure afin de profiter de la manne qu’elle représente en termes de marketing et de communication. Les principaux labels ou appellations en concurrence sont les suivantes : gasconne, béarnaise, landaise, girondine, bigourdane, voire basque (Eltzekaria), ariégeoise, etc.

Sagesse proverbiale :

   * L’unité dans la diversité : en vérité, la garbure n’est originaire d’aucune de ses régions en particulier, mais de chacune à la fois. La sagesse populaire l’a bien compris qui use volontiers du dicton selon lequel il existe autant de recettes de garbure qu’il y a de foyers avec un potager et un saloir.

   * La saveur dans l’épaisseur : une autre expression régionale, peut-être moins véridique, ou plutôt à ne pas forcément saisir de manière littérale, mais qui n’en reste pas moins évocatrice, clame que lorsque l’on plante la louche dans le plat de garbure, celle-ci doit s’y tenir droite (« le gahe s’y quille »), ce qui est, en fait, essentiellement dû aux épaisses tranches de pain rassis que l’on met dans le plat et qui absorbe le bouillon, rendant le plat si compact que la louche semble pouvoir s’y tenir plantée.

   * On considère, en effet, généralement, que le secret d’une garbure réussie réside dans sa cuisson. Plus elle mijotera longtemps et à feu doux, meilleure elle sera. Une cuisson longue et douce permettra au bouillon de s’épaissir, à condition que l’on y ait intégré suffisamment de gras, qui en constitue l’ingrédient clé en termes de saveurs.

Entre Folklore et Marketing : labeliser la garbure pour mieux se l’approprier :

   * Le championnat du monde de la garbure ou garburade qui réunit chaque premier week-end de septembre à Oloron-Sainte-Marie dans le Béarn (Pyrénées-Atlantiques), tous les ans (sauf en 2020 en raison de la situation sanitaire liée à la pandémie de la COVID-19) depuis 1993 (première édition de la garburade remportée par l’équipe Sauvage Caussade). On doit l’invention du championnat du monde de la garbure à Alain Darroze1, qui en lança le concept, en 1992, alors qu’il venait de quitter les cuisines de l’Elysée pour s’installer à son compte en tant que restaurateur à Oloron-Sainte-Marie et de fonder l’association de défense des traditions provinciales SOS Racines. Alain Darroze, membre de cette célèbre famille de chefs cuisiniers dont Hélène Darroze est sa cousine germaine, est un spécialiste de la garbure (voir page 7). 

  * Gaby Regagnon, chef cuisinier surnommé le « roi de la garbure » pour laquelle les amateurs viennent, depuis 32 ans, en pèlerinage au Café des sports d’Arzacq, un village près de Pau dans les Pyrénées-Atlantiques.

La garbure, un plat qui nourrit autant le ventre que l’esprit :

  * Si la garbure a rencontré un tel succès à travers les siècles, c’est en partie parce qu’elle ne s’est pas contentée de rassasier les ventres, mais qu’elle a aussi nourri les esprits. C’est un plan qui nous enrichit humainement en nous faisant voyager à travers les racines de nos histoires familiales, celles de nos grands-parents, du terroir et donc de notre enfance

Comment bien déguster sa garbure ? : épaisse, brûlante avec une tranche de pain rassis, flambée, gratinée au Cantal rassis et râpé ou en faisant chabrot :

  * Le pain, fidèle compagnon de la garbure : le pain occupe une place de premier choix aux côtés de la garbure puisqu’habituellement on place des tranches de pain de campagne, relevées d’ail, de marjolaine, de thym et de persil, au fond du plat avant de verser la garbure par-dessus ou on l’accompagne d’une épaisse tranche de pain rassis sur laquelle on mangeait traditionnellement les légumes en premier, puis les viandes. Aujourd’hui, on sert, au contraire, bouillon et garniture en même temps ;

  * Flamber sa garbure à la graisse de canard : il arrive que l’on dépose de la graisse de canard à la surface du bouillon, puis qu’on la fasse flamber ;

  * Gratiner sa garbure au Cantal rassis râpé : dans la variante « ariégeoise » de la recette de la garbure, il est d’usage de recouvrir le plat de fromage râpé, habituellement du Cantal, avant de le faire gratiner au four ;

  * Faire chabrot ou comment terminer sa garbure en beauté : toute garbure digne de ce nom se doit de s’achever en faisant chabrot, c’est-à-dire en versant une rasade de vin rouge dans le bouillon qui reste au fond de l’assiette afin d’obtenir une émulsion savoureuse que l’on boira à même l’assiette. C’est ce que l’on appelle la garburade

  * Vin d’accompagnement : On accompagne, en général, une garbure d’un vin rouge relativement charpenté et corsé de la région du Sud-Ouest tel qu’une appellation Fronton ou, en direction de la côte basque, un Irouléguy. Il est toutefois parfaitement possible de l’accorder également avec un vin blanc régional comme avec un vin blanc sec de Bergerac ou, du côté des Landes, de Tursan.

Vin d’accompagnement : on accompagne, en général, une garbure d’un vin rouge relativement charpenté et corsé de la région du Sud-Ouest tel qu’une appellation Béarn Bellocq, Madiran ou Tursan voire, en direction de la côte basque, un Irouléguy.

Composition « œcuménique » de la garbure : variable à l’infini, de même que pour ses proportions, en fonction du rythme des saisons, des ressources du potager et du saloir de la ferme, sans parler des variantes régionales.

A défaut de pouvoir proposer ici « la » recette traditionnelle et ne pouvant pas non plus nous permettre de reproduire la multitude des variantes qui existent de la recette de la garbure, même en nous contentant des plus typiques, nous nous limiterons à dresser l’inventaire non exhaustif des légumes et des viandes incontournables que l’on retrouve le plus souvent à travers les différentes recettes existantes de garbure :

Légumes incontournables : cultivés en pleine terre dans le potager familial, puis grossièrement coupés et cuits longuement :

   * haricot blanc, le légume par excellence du Sud-Ouest, de préférence tarbais, à faire tremper la veille dans de l’eau froide ; en Béarn est également utilisé le haricot maïs ;

   * chou, notamment dans les Landes, des feuilles de chou cavalier aux longues queues de couleur bleutée liées avec du raphia ;

  *  fève, pomme de terre, navet, pois gourmands et oignon, parfois des carottes voire des châtaignes ou même des orties et de la bourrache.  

Viandes principales : qui sont salées et confites afin de permettre une meilleur conservation

  * Originellement, en raison de son caractère rural et pauvre, la principale viande utilisée dans la recette de la garbure a longtemps été le cochon, généralement élevé et tué à la ferme (tranches de jambon de pays séché, os de crosse de jambon séché appelé camajot (« petite jambe » en Gascon) que l’on met à tremper la veille dans l’eau froide avec les haricots, jarret de porc, palette…) ;

  * Plus récemment, en particulier à partir de la seconde moitié du XXe siècle, on utilise de plus en plus, notamment dans sa variante landaise, des volailles grasses comme l’oie et le canard (cuisses, confits et gésiers ou même saucisse)

 

Sources :

 

  -   1 https://www.sudouest.fr/2012/08/29/et-darroze-inventa-le-concept-806339-4561.php?nic 

  - Les pieds sous la table ! Origine de la Garbure, https://.piedsouslatable.blogspot.com/2011/08/origine-de-la-garbure.html ;

  - La Garbure : La soupe paysanne des Pyrénées, http://regionfrance.com/garbure;

  - Garbure landaise : recette et histoire, https://www.tourismelandes.com/recette-de-la-garbure-landaise/;

  - Que boire avec la garbure ? Vin & Champagne, https://vin-champagne.ouest-france.fr/quel-vin-avec-la-garbure/?amp;  

  - Francine Claustres, Connaître la cuisine du Sud-Ouest, Bordeaux, éditions Sud-Ouest, 1993 ;

  - Alain Dutournier, Ma cuisine, Paris, Albin Michel, 2000 ;